La délivrance des monstres

Une partie du monde souhaite te voir devenir un chacal, te voir couler et t’enfoncer dans la boue de ses ombres, te voir épouser la noirceur dont certains se délectent.

On va te désigner un monstre, ainsi tu ne verras plus tous les autres monstres ni tous ceux qui dorment en toi, prêts à se réveiller pour déverser leurs poisons.

Tu ne verras pas qu’en jugeant l’autre, tu te condamne à jamais, tu t’empêche de rencontrer tes blessures et cet enfant en toi qui hurle de douleur.

Tu te crois fort parce que tu hurles avec la meute qui a mis à terre sa proie et se délecte du sang qui coule.

Tu te crois fort car en une seconde, par la magie des manipulateurs du réel, tu te sens au-dessus, à l’abri, dans le camp des bonnes personnes auxquelles rien n’arrivera jamais, non, jamais. Pas moi. Seulement les autres. Eux seuls sont capables du pire.

C’est ainsi que ne portant jamais tes propres ombres, tu les fais porter au bouc émissaire, tu jettes dans son sac à dos tout ce que toi et le monde ne voulez pas voir, pas traiter, pas guérir. Tu te croiras exempté. Il devient celui qui te délivreras de ton propre mal, celui qui t’empêcheras de concevoir une possible brèche dans ta parfaite toute puissance.

Tu veux juger. Alors tu ne veux pas, ne peux pas guérir. Juger et guérir ne vont pas ensemble. Tu veux juger, encore et encore. Jeter dans la honte, marquer au fer rouge, diaboliser, diviser, fabriquer des camps et des ennemis.

Ainsi va l’humanité, blessée, jamais ointe du baume du pardon et de la compassion.

Si tu revenais à l’être, au sensible, à la complexité, tu écouterais, tu entendrais la blessure qui suinte, la difficulté d’exister, tu sentirais tout cela dans ton cœur.

Que feras-tu pour qu'un seul qui est tombé se relève, pour qu’il aille vers sa lumière et la Lumière ?

Que feras-tu pour libérer l’autre de ses enfers, te libérant ainsi de tes propres enfers ?

Méfies toi de ceux qui dressent des piloris sur la place publique, méfies toi de cet appel à la fausse bienséance qui lapide et décapite, faisant de toi un nouveau monstre, invisible dans le miroir où tu te regardes.

Tous les marchands de bas-fond, de colère, de limons, t’invitent à vomir tes bassesses en toute impunité, à déverser tes déjections que tu prends pour de la morale. C’est ici même que tu te rétrécis, que tu te durcis pour cautionner le monde de la barbarie et régresser au lieu d’évoluer.

Si tu revenais à l’être, à la blessure originelle, à l’humanité si imparfaite en devenir, naturellement ton cœur pourrait s’agrandir.

Peux-tu offrir cet espace, plus grand, plus large, où il y a de la place pour les victimes et les coupables ? Pour les héros et les maudits ? Pour les êtres debout et ceux qui sont genoux à terre ?

Peux-tu souhaiter qu’à jamais chacun sur son chemin puisse un jour se relever, trouver sa délivrance, même à travers le pire ?

C’est ici que tu peux faire alliance, que tu peux être le pont, le lien entre toutes choses, l’intercesseur vers le meilleur, la conscience et l’amour.

C'est ici que s'ouvre ton propre chemin d'amour.

Louve